Grande déception à notre arrivée à Potosi : la fête de San Bartolome (ou fête des Los Chutillos) qui était prévue ce week-end (28 et 29/08) est reportée au 2 et 3 octobre prochain.
En cause, le blocus de la ville par les mineurs (soutenus par la population) qui s’est achevé il y a tout juste 10 jours.
Ce blocus a duré près de 20 jours et a désorganisé la vie économique de la ville (nous avons rencontré un couple de français à Copacabana; ils sont restés bloqués plus de 15 jours dans la ville sans pouvoir en sortir malgré 4 tentatives qui ont toutes échouées).
Les manifestants voulaient obtenir du gouvernement de La Paz la construction d’un aéroport international ainsi qu’une plus juste répartition des richesses de la région : richesse minière trustée par une multinationale japonaise (exploitation du lithium, constituant majeur des batteries des voitures électriques).
Promesse fut faite de construire cet aéroport dans les cinq ans…Promesse, promesse…
Ce conflit illustre parfaitement la dualité entre les régions, ces conflits internes déstabilisent la Bolivie. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler …
A défaut de fêter la San Bartolome, nous allons mieux connaître cette belle ville, joyau baroque de l’Amérique latine (et patrimoine de l’Unesco) et visiter une mine d’argent.
Mais aussi nous reposer, car, après Stéphane qui se remet lentement de la turista, voilà que Christophe lui aussi attrape cette maudite turista !
Potosi est la ville de plus de 100 000 habitants la plus haute du monde : altitude de 4090 m. La respiration est difficile lors de marches intensives et il y fait très froid la nuit.
Nous dormirons sous une épaisseur de 5 couvertures : 12°C dans la chambre de notre hôtel « La compagnie de Jésus » (un ancien couvent carmélite, austérité, humidité mais eau chaude toute la journée, un luxe ici !).
Il est agréable de se promener dans le petit centre ville colonial, de s’asseoir sur un banc au soleil de la « plaza 10 de noviembre » (la charmante place centrale entourée de bâtiments officiels et religieux coloniaux) et d’observer les habitants s’activer. Toutes les villes d’Amérique du Sud ont une « plaza mayor » et elles sont toujours pleines de vie !
Nous visitons le couvent Santa Teresa (Stéphane : encore un couvent !).
La visite est longue (plus de 2h1/2) mais captivante car le guide, une jeune femme intelligente, a beaucoup d’humour et réveille régulièrement par ironie son auditoire frigorifié (qu’il fait froid entre les murs épais !).
Ce couvent de l’ordre des Carmélites est constitué d’un grand nombre de pièces d’intérêt inégal : crèche à la Disneyland, le réfectoire (avec sa tête de mort), le cloître et son pommier vieux de 350 ans … (les sœurs continuent de récolter les pommes qui finissent en confiture ... nous n’avons pas pu y goûter !)
La fabrication de l’hostie (farine et eau seulement) demeure une source de revenus pour les sœurs qui ne sont plus qu’une dizaine aujourd’hui.
Elles ont le monopole de la fabrication des hosties pour toutes les églises de la région de Potosi ... Il est intéressant de voir le moule à hostie, les pointeaux ...
Les filles qui entraient au couvent à l’âge de 15 ans (moyennant une riche dot de 6000 dollars) n’en ressortaient plus de leur vivant.
Comble que de payer pour vivre enfermer dans une prison dorée… Pas de communication avec l’extérieur autre qu’orale (à travers des grilles et sous la surveillance des sœurs supérieures derrière d’épais rideaux).
A l’époque, dans la noblesse locale, il était de rigueur de destiner le deuxième enfant au couvent si c’était une fille et à l’armée si c’était un garçon ! Pas de soucis d’orientation professionnelle ...
A proximité de la place centrale, la « Casa de monedad » est LE musée de Potosi.
La visite guidée, en français, est très intéressante. En effet, ce grand bâtiment abrite l’ancienne fabrique de monnaies de la Bolivie construite aux environs de 1750 par l’autorité espagnole (à proximité des mines d’argent, elle tournait à plein régime et fournissait toutes les colonies espagnoles).
De la fonderie (fonte de l’argent ou de l’or jusqu’à 1000°C!) à la frappe, nous y voyons toutes les étapes de fabrication et l’évolution de la technologie au fil des siècles.
Les laminoirs aux rouages tout en bois (bois de chêne vert venu d’Europe : le bois le plus résistant) sont impressionnants ! Ils étaient actionnés par des esclaves puis des mulets.
Puis changement de matériel au 19ème siècle avec l’apparition de la vapeur et enfin de l’électricité.
Les machines sont présentées en l’état dans leurs emplacements d’origine, c’est presque une visite du CNAM !
Etonnamment, la Bolivie ne frappe plus sa monnaie depuis le milieu du 20ème siècle : les pièces et billets sont achetés à l’étranger après appels d’offres, ce système est plus rentable. Ainsi, la majorité des billets boliviens proviennent d’une imprimerie bretonne, cocorico !
Parallèlement à la technologie, il est aussi intéressant de découvrir l’évolution des pièces proprement dites ... Nous apprenons que les premières pièces de monnaies en argent de formes inégales ne se différenciaient que par leurs poids. Ensuite, apparaît la notion de taille et d’épaisseur et l’instauration des bords cannelés afin d’éviter les vols d’argent lors de la fabrication par découpe de la pièce. Ces cannelures ne sont maintenant qu’esthétiques.
Dans ce musée, également une petite pinacothèque dont un tableau très intéressant : la Virgen del Rosario (de Luis Niño). La robe de la vierge représente le Cerro Rico, la montagne proche de Potosi où travaillent les mineurs. Les mineurs sont placés sous la protection de la Vierge Marie.
C’est un tableau aux accents catholiques qui fait néanmoins référence à la Pachamama (déesse de la culture pour les indigènes). Vive le syncrétisme !
Après la visite de la fabrique de monnaie, il nous fallait découvrir l’extraction de la matière première ! Justement, nous effectuons ce lundi matin la visite d’une mine d’argent/étain de Potosi, probablement notre visite la plus marquante depuis le début de notre séjour.
En préambule, quelques données historiques.
En 1544, découverte de minerais d’argent dans la montagne rouge appelée Cerro Rico : l’exploitation des mines par les Espagnols débute aussitôt.
Il s’agira du plus important gisement d’argent jamais exploité : plus de 50 000 tonnes d’argent sont extraites de la montagne et envoyées par bateaux entiers en Europe.
Plus de 6 millions de mineurs (locaux, indiens puis esclaves africains…) décèderont d’épuisement dans la montagne, un réel génocide !
Le pillage des mines de Potosi par les espagnols est à l’origine du capitalisme : en 3 siècles, l’équivalent de 50 milliards de dollars ont transité en Europe.
Ces liquidités ont permis l’enrichissement de l’Espagne (les fabuleux palais de Séville…) puis la déchéance du pays (endettement massif de l’Espagne auprès des pays d’Europe du nord dont la France qui la fournissait en produits manufacturés).
C’est grâce à l’argent de Potosi que se développa le commerce en Europe, le Capitalisme est né !
Le filon de l’argent s’épuisa au début du 19ème siècle mais la découverte de l’étain relança l’exploitation des mines au 20ème siècle.
Depuis 1995 (forte baisse des cours de l’étain), l’exploitation des mines de Potosi n’est plus rentable. La compagnie nationale a donc largement licencié et l’Etat a encouragé les mineurs à s’organiser en coopératives ou en familles.
Aujourd’hui, plus de 6000 mineurs travaillent encore dans l’une des 120 mines de Potosi.
Mais l’organisation est anarchique : les mineurs s’exploitent eux-mêmes, sans protection sociale, une maigre pension retraite est allouée par l’Etat mais l’espérance de vie des mineurs est faible, 40-45 ans (décès par maladies pulmonaires, silicoses, ou par explosions).
C’est Germinal au 21ème siècle !
Avant d’entrer dans la mine, nous achetons du coca ainsi que des boissons que nous donnerons ensuite aux mineurs. Nous apprenons que les mineurs boivent de l’alcool à 96° (faiblement dilué) pour tenir dans la mine !
Nous revêtons notre tenue de protection, botte, casque lampe et batterie puis nous entrons dans une mine de la montagne (un vrai gruyère ce Cerro Nico ! des milliers de galeries jusqu’à une profondeur de plus de 450 mètres).
La visite d’une mine n’est pas facile : nous marchons dans un long tunnel étroit obscur entre les tuyaux véhiculant l’air comprimé (fonctionnement pneumatique des marteaux piqueurs), le sol alterne entre boue ou roche sèche.
Il faut baisser la tête (Stéphane est trop grand !) voire marcher à quatre pattes et à certains endroits ramper.
Il fait froid au début de la marche mais la température monte vite jusqu’à 35°C à certains endroits.
Il n’y a pas d’électricité dans la mine. Les mineurs utilisent une lampe alimentée par du souffre et de l'eau (qui peut être remplacée par du coca ou du pipi dans les moments critiques!) qui provoque la réaction chimique donnant un gaz inflammable (Christophe a bien sûr réussi à en acheter une en souvenir !).
Et l’air fortement chargé en poussières d’amiante, de salpêtres, de minéraux est difficilement respirable.
Mais ces désagréments sont mineurs par rapport à ce que peuvent vivre les mineurs qui eux travaillent plus de 20 ans dans la mine sans autre protection qu’un casque (nous verrons de jeunes mineurs avec un filtre à la bouche).
Notre mine compte 4 niveaux : nous en descendons 3 avant de rencontrer deux frères qui travaillent ensemble dans un boyau. L’un deux à 20 ans et travaille depuis 3 ans dans la mine (les mineurs les plus jeunes ont 16 ans…). Avec un maillet, il enfonce un pieu dans la pierre afin d’y mettre de la dynamite et de fragiliser celle-ci.
La température est élevée, le boyau est exigu, le mineur a peu de place pour manœuvrer. La bouche pleine de feuille de coca (les mineurs mâchent toute la journée des feuilles de coca), il nous dit gagner 1 000 bolivianos par mois (l’équivalent de 100 euros) alors qu’un professeur ou un policier gagne 600 ou 700 bolivianos par mois.
Nous ressentons une grande fatigue dans le regard du mineur pourtant jeune.
Plus loin, un trolley chargé de 2 tonnes de minerais est poussé vers l’extérieur de la mine par 4 hommes en sueur, un tunnel de plus d’un kilomètre !
Nous nous approchons d’un trou béant : nous y voyons deux mineurs torse nu en train d’extraire avec un marteau piqueur le minerai qui sera ensuite évacué par trolley vers la sortie. L’un deux a accroché à sa ceinture une poche plastique où s’est écoulé presque l’équivalent d’un grand verre de sueur…
Au détour d’un couloir, nous passons devant un petit autel : nous y voyons une statue de EL TIO, le dieu protecteur des mineurs à qui ces derniers offrent coca, alcool et cigarettes (d’ailleurs, notre guide asperge la statue d’alcool de la tête au pied). Bien que tous catholiques, une fois entrés dans la mine, les ouvriers ne reconnaissent que ce dieu pour être aidé et protégé.
Lorsque nous ressortons de la mine, nous sommes très marqués par ce que nous avons vu mais aussi heureux de pouvoir respirer librement l’air extérieur. Cette visite est très instructive et nous permet de relativiser nos petits problèmes quotidiens. Il y a beaucoup plus malheureux que nous !
Pour conclure la visite, notre guide nous donne un bâton de dynamite qu’elle fera exploser à quelques dizaines de mètres de nous.
Le soir même, nous prenons un bus délabré en direction de Sucre, ville voisine (3 heures de route) de Potosi.
Hola les explorateurs ! TB votre récit et les commentaires qui l'accompagnent, ainsi que le nouveau fond d'écran...Tout en douceur !
RépondreSupprimerQuant au sud Lipez présenté -sous toutes les coutures- par Bourriquet, c'est à tomber par terre ! Magnifique