1 novembre 2010

Tahiti, un mythe vieillissant

Notre avion arrive tardivement (23 heures) à Papeete.

A l'entrée de l'aéroport, nous sommes accueillis par un groupe de trois musiciens polynésiens qui chantent et jouent une sorte de guitare au son cristallin, un son qui rappelle les îles ; C’est très touristique comme accueil mais plaisant.

Nous sommes heureux de lire et d'entendre du français après plusieurs mois passés en langue espagnole. L’accent local est aigu et s’apparente à celui des antillais.
Première surprise au distributeur de billets : la monnaie locale n'est pas l'Euro mais le Franc Pacifique (ou encore CFP); 1 € = plus de 120 CFP.

Les billets de 10 000 CFP que nous obtenons sont très kitchs (ils font penser aux billets de nos anciens francs, même couleur, même taille ; les pièces énormes déforment le porte-monnaie) et ils vont vite quitter notre portefeuille car… nous venons d'entrer dans le pays le plus cher au monde !
Le taxi qui nous amène à notre pension nous coûte 23 € pour moins de 10 minutes de course. Notre pension (la seule au centre de Papeete) est une habitation rafistolée (bâtie en tôle et contre plaqué) et deux lits dans un dortoir nous coûtent 43 €, un record ! Et à ce prix là, Christophe ne parviendra pas à dormir de la nuit, à cause des ronflements de son voisin allemand …

Tout est cher en Polynésie car la plupart des produits sont importés de France, Australie, Nouvelle-Zélande ou des USA. Tout est cher sauf la baguette, 0,50 € : un prix fixé par l'administration (le contrôle des prix fait notre bonheur, nous allons en manger du pain ces prochains jours!).

Des yoghourts sont fabriqués près de Tahiti avec du lait en poudre de Nouvelle-Zélande (15 € le pack de 16 yoghourts aux fruits: à ce prix, on savoure le dessert jusqu'à la dernière cuillère).
Il existe également la Charcuterie du Pacifique, la fabrique de jus de fruits de Mooréa ou la Brasserie de Tahiti, tous les autres produits alimentaires sont importés.

Le territoire polynésien vit essentiellement du tourisme. Mais cette ressource est en chute libre ces dernières années: de 270 000 visiteurs au début des années 90, les quatre archipels polynésiens n'ont reçu que 135 000 visiteurs en 2009.
Les raisons sont connues: la cherté du voyage (monopole aérien d'Air France= tarif avion très élevé, 1600€ minimum A/R auxquels il faut rajouter le coût des hôtels, 100 €/nuit minimum ...), la crise économique qui frappe davantage les destinations chères, les prestations qui laissent à désirer au regard du prix payé, le fait que l'on vient rarement plus d'une fois en Polynésie du fait de son éloignement géographique par rapport à l'Europe ou les USA, une dépendance à un seul type de tourisme (80% du tourisme correspond à des voyages de noce !) …

Chaque année, des hôtels ferment (Mooréa et le fantôme du Club Med, Huanine et son Sofitel en ruine), le Club Med a définitivement quitté Bora-Bora et la Polynésie, tout un symbole !

C'est une atmosphère particulière qui nous attend à Papeete : un certain fatalisme par rapport à cette crise du tourisme qui persiste mais aussi une inquiétude par rapport à l'arrivée massive de jeunes sur le marché du travail (le taux de natalité en Polynésie est élevé : 4 à 6 enfants par famille sont la norme ; 55% des polynésiens ont moins de 18 ans) : de futurs chômeurs.

L'économie polynésienne est une économie artificiellement subventionnée par la France et les aides financières obtenues sont détournées par les politiciens locaux.
Les polynésiens découvrent la société de consommation à l'occidentale et perdent leur culture, leur mode de vie : au lieu de vivre de la pêche ou de l'agriculture, ils touchent le RMI ou les allocations familiales...
Les germes de l'indépendance sont là, il suffit que la France coupe le robinet des subventions et tout pourrait arriver ...

Par contre, la Polynésie peut apparaitre comme le Paradis des fonctionnaires … nous y rencontrerons de nombreux fonctionnaires français : professeurs, gendarmes, personnel hospitalier, militaires …
Ils touchent de 2 à 3 fois leur salaire français (le coût de la vie ne justifie pas de tels écarts). Ils payent leurs billets d’avion moitié prix en raison de la « continuité territoriale ». Ils investissent/dépensent très peu lors de leur séjour ; au contraire, ils économisent un maximum car ils savent qu’au bout de quatre ans, ils devront céder la place aux suivants …

Hormis des fonctionnaires, nous rencontrerons aussi des français de toute origine : des militaires , des commerçants… Certains d’entre eux vivotent sans réelle perspective de vie. Assez étrange comme comportement…



S'étendant sur un territoire aussi vaste que l'Europe, la Polynésie compte quatre archipels :

l'archipel de la Société : ce sont des îles jeunes (les îles ont un volcan central éteint et sont entourées d'un récif de corail) et les plus peuplées. Nous visiterons Tahiti, Mooréa, Huanine et Bora-Bora,
l'archipel des Tuamotu : ce sont des îles « basses » ou atolls (le volcan central s'est enfoncé dans le lagon jusqu'à complètement disparaître ; il ne reste que la barrière de corail qui, avec l'accumulation de sables et sédiments, devient des îles habitables mais de faible élévation et donc sensible au cyclones). Nous visiterons Rangiroa,
l'archipel des Marquises : ce sont des îles jeunes car le volcan central est haut et la barrière de corail est inexistante. Nous n'irons pas aux Marquises car ces îles sont trop éloignées de Tahiti,
l'archipel des Australes : ce sont des îles peu habitées et encore peu visitées.




Tahiti est la plus grande île de tous les archipels, la plus peuplée également (elle concentre 80% de la population de la Polynésie).
Nous y séjournerons trois jours, le temps d'y effectuer les démarches administratives diverses (envoi de colis, achat de billets, achats divers) mais aussi de visiter l'île.

La capitale Papeete ressemble à une sous-préfecture française, endormie ce 1er Novembre... Tout est fermé (nous maudissons les jours fériés) et nous serons obligés de déjeuner dans un Mac Do, une première depuis le début de notre voyage. La ville est sale (partout des cafards, des rats) et les bâtiments manquent d'entretien : façades décrépies ...
Seule la Mairie récente et de style colonial, ainsi que le somptueux bâtiment du haut commissaire de la République méritent le déplacement.
Au célèbre marché de Papeete, seuls les fleuristes sont ouverts. Ils vendent de magnifiques compositions exotiques pour fleurir les tombes … ça change de nos chrysanthèmes …

Papeete étant désertée en ce jour férié, nous décidons de nous rendre à la plage : l'auto stop marche bien ici, 10 minutes d'attente suffisent et nous parvenons rapidement à la plage de la Pointe de Vénus, une belle plage de sable noir aux reflets argentés fréquentée par des familles polynésiennes et des militaires (une base de l’armée est proche).
L'eau du lagon est très chaude ! Nous profiterons d'un superbe coucher du soleil avec l’île de Mooréa en arrière-plan avant de nous rendre chez un couchsurfeur (notre premier en 4 mois et demi de voyage).

Arnaud est un expatrié français et infirmier dans le nouvel hôpital de Papeete. Nous sommes invités à dîner et à dormir chez lui, un bon moyen de connaître le mode de vie des expatriés, et c’est économique en plus ! Nous apprenons que la plupart des expatriés vivent sur la côte Ouest, plus urbanisée et plus chère. Lui par exemple loue un F3 en duplex d’environ 100m² dans un immeuble neuf d’un village de la côte Est de Tahiti, à environ 15 km de Papeete, pour environ 1 000 euros par mois. Que l’on vive à l’Est ou à l’Ouest, Papeete est désservie par la seule route côtière d’où d’énormes embouteillages matin et soir. Il faut compter une heure pour parcourir les 15 km qui sépare son logement du centre de Papeete. Incroyable on se croirait à Paris !


Nous consacrons notre dernière journée à Tahiti à faire le tour de l'île en voiture de location (voiture partagée avec deux italiens et un allemand : clients de la pension).
La météo est maussade et propice à la découverte du musée vieillot de Tahiti, musée qui raconte l’histoire et le mode de vie en Polynésie.
Nous apprendrons que les îles polynésiennes ont été découvertes par les navigateurs anglais (Cook…) et c’est en 1880 que le roi polynésien Pomare V accepte la demande française d’annexion des territoires.
Henri Hito est un poète et cinéaste polynésien partisan de l’indépendance : une exposition lui est consacrée dans une annexe du musée.
Selon lui, la Polynésie française a été victime ces dernières décennies de trois cataclysmes : la surexploitation du phosphate de l’île (aux graves conséquences écologiques), le tournage du film « Les révoltés du Bounty » par la MGM (ce film a employé la quasi-totalité des habitants des îles en tant que figurants : les polynésiens entrent dans l’économie de marché et perdent leur identité) et les essais nucléaires de Mururoa (afflux de militaires, subventions françaises et assistanat de la population).

Notre tour de l’île se poursuit par la visite du Marae Arahurahu (vaste terre-plein rocheux avec des représentations du dieu Tiki, le Moai des polynésiens ; ce sont les lieux de culte et de rencontre des tribus).
Nous passons ensuite devant les grottes de Maraa rendue en partie inaccessible à cause d’éboulement de la montagne. Le musée Gauguin est encore plus vieillissant que celui de Tahiti. En plus, il ne comporte aucun tableau de Gauguin, un comble ! Il y a plus d’employés que de visiteurs.

Le jardin botanique retient davantage notre attention : assez étendu, il regroupe un grand nombre d’arbres dont un massif de bambous géants jaunes (de plusieurs mètres de hauteur) ou encore l’arbre du fruit miraculeux (la consommation de ce fruit enlève toute sensation d’acidité ou d’amertume pendant plusieurs heures).


La presqu’île de Tahiti nommée « Tahiti Iti » (= petit Tahiti) est plus sauvage et belle (moins de construction en bord de route) que « Tahiti Nui » (= grand Tahiti).
Nous passons au village de Teahupoo mondialement connu pour son spot de surf (vagues de plus de 5 mètres au niveau du récif de corail).

Nous terminons en fin d’après-midi notre « tour marathon » par une séance de brumisateur au niveau des trois cascades de Frarumai (bien petites par rapport aux chutes d’Iguaçu…) et par le trou du souffleur (à cet endroit, les eaux de l’océan s’engouffrent sous la route et ressortent en un jet puissant et sonore). Quatre chiots abandonnés nous attendaient à proximité du trou : Christophe a une envie très forte d’en adopter un, mais le voyage n’est pas fini …



Pour se rendre à l’île de Mooréa, située à seulement 20 km de Tahiti, il suffit de prendre un ferry climatisé. Du pont du bateau, Mooréa est une île au relief prononcé (les pics volcaniques sont hauts et accidentés) et entre la barrière de corail et la côte, nous voyons le très beau lagon à l’eau bleue claire, cadre enchanteur.
A l’arrivée à Mooréa, notre couchsurfeuse n’est pas présente au rendez-vous que nous avions fixé, un lapin.

Nous prenons un truck afin de nous rendre au camping (c’est moins cher et c’est nature !).
Le truck est un camion sur lequel a été posé un compartiment en bois pouvant accueillir plusieurs dizaines de passagers. Le confort est spartiate mais les nombreuses fenêtres permettent de voir le paysage.
Et nous ne serons pas déçus par le voyage. De l’unique route qui fait le tour de l’île, nous admirons le lagon et ses motus, les maisons dont certaines ont une tombe dans le jardin : les ancêtres sont enterrés dans le jardin, de cette manière, la terre reste propriété de la famille.
L’île est très belle mais également très (trop) construite : pas un pan de la mer qui ne soit construit. En théorie, la plage est publique ; dans les faits, elle est difficile d’accès et donc privatisée par les heureux propriétaires des maisons.
Les fleurs sont partout et de toutes les couleurs : blanche comme la fleur de Tiare (superbe fleur blanche emblème de la Polynésie), violette/orangée/rose/rouge comme la fleur de Bougainvillée …

Notre camping (camping Nelson) est situé au Nord-Est de Mooréa: un très bel emplacement au bord de la plage avec les motus au large. Le cadre est paradisiaque, dommage que l’accueil soit si mauvais (pas un sourire de la propriétaire et même un soupçon d’agressivité face aux questions insistantes de Christophe).

Pendant que Christophe se rend chez le médecin généraliste voisin afin de soigner un rhume persistant, Stéphane redécouvre le snorkeling dans le lagon face au camping. Une belle et chaude après-midi ensoleillée dans l’eau. Les coraux ne sont pas en bon état, par contre, les poissons eux sont nombreux et colorés, un véritable aquarium !

Le lendemain, avec un kayak loué, nous nous dirigeons vers un motu éloigné. L’eau du lagon est d’une limpidité et clarté exceptionnelle avec toujours des nuances de bleu (clair à foncé selon la profondeur).
A un endroit donné du lagon (un seul bateau de touristes à l’heure où nous arrivons), une dizaine de raies grises nous attendent. L’animal est impressionnant par sa largeur (jusqu’à 1 mètre) et pourtant, il est inoffensif (à condition d’éviter sa queue). Il évolue lentement par ondulation dans l’eau.
Les raies se laissent toucher, la peau de l’animal est douce comme du velours une éponge. Nous nous amusons à nager au dessus de l’animal.
A quelques mètres de là, plusieurs requins à pointes noires tournent : ils ont entendu les bateaux de touristes s’approcher et ils attendent que les poissons soient jetés des bateaux.
Des raies et requins nourris par l’homme, c’est un spectacle discutable : ces animaux ont perdu leur caractère sauvage.

Une heure après notre arrivée, plusieurs bateaux de touristes sont là ; nous changeons d’endroit et nous nous dirigeons plus au large entre deux motus. Nous accostons sur un îlot désert et paradisiaque … Nous remarquons de nombreuses tables à pique-nique … nous apprendrons par la suite que ces installations datent de l’époque où le Club Med était implanté à Mooréa (plage d’en face) et où les bateaux de croisière s’arrêtaient à Mooréa …

Après notre matinée de kayak, nous louons des VTT afin de découvrir, au cours de l’après-midi, le Nord de l’île : les baies de Cook et d’Opunahu sont magnifiques encerclées de montagnes boisées, montagnes que nous verrons encore mieux du belvédère (mais il nous faudra l’atteindre ce belvédère, la route n’en finit pas de monter entre les plantations d’ananas… et nos mollets tiraillent … nous finirons les derniers mètres à pied !).

Notre balade en VTT sera l’occasion de visiter l’usine de jus de fruits de Moorea (1er employeur et seule industrie de l’île). Visiter est un bien grand mot … en effet, sous prétexte des normes de qualité ISO 9000, l’usine ne se visite plus. A la place, nous aurons droit à une vidéo explicative et surtout à des dégustations au « shop » de l’usine. La dégustation commence par le pur jus d’ananas (100%), spécialité de Moorea et de l’usine, pour enchainer sur différents mélanges jus de fruits / alcool… Stéphane, qui a voulu goûter à tous, a la tête qui tourne au moment d’enfourcher son vélo !

Nous quittons Mooréa au petit matin : 3,30 heures le réveil sonne !
Personne sur la route déserte. Heureusement, notre truck finit par arriver (5h du matin au lieu du 4h annoncé sur le panneau d’affichage du camping) et nous attrapons sans encombre le premier ferry à 6 heures.
La vie sur les îles polynésiennes est calquée aux heures du soleil. Les commerces ouvrent vers 6 ou 7 heures et ferment à 18 heures, du petit magasin de quartier à l’hypermarché Carrefour de Papeete.


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